Trauma complexe & couple: reconnaître, comprendre, agir (repères somatiques essentiels)
- Eléonore Alexandrakis

- 24 oct.
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 oct.
SOMMAIRE:

Le trouble de stress post-traumatique complexe (TSPTc) n’est pas qu’un souvenir douloureux. C’est une empreinte durable sur le système nerveux, l’attachement et la régulation émotionnelle. Dans la relation, il peut entraîner des cycles d’escalade ou de retrait, brouiller la communication et fragiliser l’intimité. Cet article propose des repères professionnels mais accessibles pour reconnaître ces dynamiques et agir en respectant le rythme de chacun.
Texte informatif, non médical. À noter: le TSPTc est reconnu dans l’ICD-11 (OMS). En cas de danger ou de symptômes sévères, consultez un professionnel de santé (112/3114 en France).
1) TSPT vs TSPTc
TSPT / trouble de stress post-traumatique: c'est une réponse à un événement traumatique (ou une série d’événements) identifiable comme une agression ou un accident.
TSPTc / trauma complexe: il s'agit d'expositions prolongées et répétées à des circonstances traumatisantes sans option de fuite (trauma développemental/ relationnel, violences, négligences). On retrouve les symptômes du TSPT mais aussi des perturbations durables du soi, de la régulation et du lien (souvent appelées DSO: disturbance of self-organization).
Idée clé: ce n’est pas un trait de caractère — c’est un schéma neuro-somatique orienté vers la préservation de ce qui a été enregistré comme "sécurité" à un moment donné.
2) Dans le couple
Les signes relationnels:
alternance poursuiveur/évitant — alors que l’un des partenaires recherche le contact et le lien, l’autre se retire, évite et fuit. Ce schéma peut être douloureux et soulever beaucoup de questionnements pour le partenaire cherchant à préserver le lien dans son couple. Il est également source de souffrance pour le partenaire évitant, en proie à des peurs, de l'anxiété ou une déconnexion de soi. En terme d'attachement, le trauma complexe a tendance a créer un style d'attachement désorganisé ou évitant car dans l'enfance, être en lien était perçu comme dangereux par le système nerveux de l'enfant. Il a donc appris très tôt des stratégies de survie permettant de se protéger en restant en retrait ou le plus immobile et silencieux possible. Aujourd'hui sur les réseaux sociaux et dans les médias, on retrouve régulièrement des conversations autour de la thématique du "couple toxique" composé d'un partenaire anxieux et l'autre évitant avec parfois des conseils très peu avisés. Il est important de réaliser que le style d'attachement n'est pas fixe et peut évoluer au cours de notre vie. Avec un accompagnement adapté et un travail sur soi, il est possible de développer un style d'attachement sécure.
des déclencheurs fréquents — par exemple un ton de voix, un imprévu, une période de l'année, un lieu peuvent générer des crises de panique ou un état de dissociation. Le stress est également un facteur très aggravant pour les personnes victimes de trauma complexe.
des conflits qui montent vite en pression ou, à l’inverse, un état de figement, de sidération et de longs silences.

Les signaux corporels chez le partenaire souffrant de traumatisme complexe:
Hyper-activation: souffle court et haut, tension musculaire, agitation - on pourrait parler de fuite en avant: par exemple, "il faut impérativement que je nettoie le réfrigérateur", "je dois travailler à tout prix", "je dois aller laver la voiture" etc.
Hypo-activation: lourdeur, lenteur, engourdissement du ressenti, immobilisation - "je ne peux pas..." ou "je ne sais pas".
Dissociation: distance intérieure, “pilote automatique” - déconnexion, les parts de protection prennent le contrôle car la personne ne dispose pas des ressources somatiques et relationnelles pour pouvoir rester en lien (il est important de comprendre ici qu'il ne s'agit pas d'un choix fait par la personne mais d'un mécanisme neuro-physiologique puissant qui s'enclenche de façon inconsciente).
Intimité & sexualité: désir variable parfois pulsionnel ou parfois absent, difficultés à exprimer ou même ressentir un oui/non clair; présence de douleurs (ex. dyspareunie, maux de ventre) ou engourdissement / perte de sensations.
Ces comportements peuvent sembler illogiques mais ils sont en réalité une stratégie de survie. Incompris, ils peuvent générer beaucoup de confusion voir même de la colère chez le partenaire témoin.
C'est pour cela que parler de la mise en place d'un cadre sécurisant et se pencher ensemble sur la psycho-éducation, l'identification des déclencheurs et communiquer sur les besoins et limites de chacun est non seulement important mais essentiel pour permettre à chaque partenaire de comprendre ce qu'il se passe, de prendre du recul et d'avoir des repères pour éviter de se noyer dans les difficultés engendrées par le trauma complexe.
Pourquoi poser un cadre?
Un cadre sécurisant (psycho-éducation, identification des déclencheurs, communication des besoins/limites) permet de créer des repères et de préserver la sécurité souvent déjà très fragilisée chez la personne victime de trauma complexe.
(Association rapportée entre antécédents de violences/abus et douleurs sexuelles — sans en déduire une causalité simple; une évaluation médicale est nécessaire en cas de douleur persistante.)
Si plusieurs de ces éléments reviennent régulièrement avec des marqueurs corporels (accélération/engourdissement), l’hypothèse “trauma complexe” mérite d’être explorée avec un·e professionnel·le.
3) Comprendre

La fenêtre de tolérance: c'est la zone invisible où l’on peut sentir/penser/agir sans perdre le contrôle de soi et de sa capacité à préserver le lien. En couple, on peut identifier trois fenêtres: la nôtre, celle du partenaire et celle du couple. Il s’agit d’un modèle clinique pédagogique, pas d’un outil diagnostique.
La règle d’or: dès que l’un sort de sa fenêtre, la relation passe en mode protection; on privilégie alors un retour à la sécurité avant de reprendre la discussion ou demander des réponses ou une réaction.
Co-régulation: appuyée par des modèles neurophysiologiques contemporains (théorie polyvagale), la co-régulation est la capacité de nos systèmes nerveux à entrer en lien l'un avec l'autre. Lorsqu'une personne a la capacité d'être en lien avec elle-même et de rester ancrée et alignée, elle peut alors aider celle qui se trouve hors de sa fenêtre de tolérance par le simple fait de se montrer présente et centrée: les systèmes nerveux co-régulent ensemble.
4) « Glimmers », les micro-signaux de sécurité
Dans la théorie polyvagale, on appelle glimmers ces micro-moments de sécurité intérieure qui signalent au système nerveux que l’environnement est suffisamment sûr pour pouvoir repasser en mode "digestion & connexion". Ils activent l’axe ventral-vagal – état propice à la présence, au lien et à la coopération. Les glimmers sont très personnels: ce qui apaisera l’un n’apaisera pas nécessairement l’autre. L’enjeu est de pouvoir en identifier, puis de les convoquer au bon moment (avant un sujet sensible, pour revenir à la connexion, en préambule d’un moment d’intimité). Les glimmers sont comme des petites "ancres" à la mer permettant d'apporter un peu de stabilité et d'ouvrir la voie vers plus de présence et de connexion.
Du point de vue de l'IFS (Internal Family Systems): un "glimmer" ou étincelle de présence et connexion, aide à contacter davantage le Self (leadership calme, curieux, compatissant) et à reconnaître que certaines parts protectrices peuvent se détendre quand le contexte redevient sûr. Autrement dit, les glimmers sont des repères externes ou internes qui permettent de faciliter le dialogue avec vos parts — sans forcer — et restaurent ainsi plus de choix, d'intégrité et de souveraineté.

Comment les utiliser en couple:
Établir une liste SOS: chacun liste 5 à 10 glimmers (ex: une musique, un exercice somatique, un geste ou une position, une odeur comme une huile essentielle ou un parfum, le goût d'un aliment ou d'une boisson, une image, des mots comme un poème, les paroles d'une chanson, une phrase secrète symbole de la complicité du couple...).
Mettre à portée de main: avoir 1 à 2 glimmers toujours “mobilisables” facilement (ex. morceau musical, photo, objet, mot-clé).
En pratique: avant un sujet ou moment délicat, ouvrir l'espace avec un glimmer choisi tout en respectant le cadre (ex: pas de toucher sans consentement)
Réparer: après une montée de tension, revenir au corps via un glimmer (posture, respiration, contact neutre convenu ou autre).
Idée clé: les glimmers n’effacent pas un trauma complexe; ils créent des micro-ponts de sécurité qui rendent la co-régulation, puis la conversation, plus accessible.
5) Que faire?
Priorité au corps: quand ça déborde, viser un retour à la sécurité (ralentissement ou au contraire mouvement, repères externes ou somatiques, respiration). Pas besoin d’exercices complexes, quelques repères suffisent.
Pré-cadrer avant les sujets sensibles: l'objectif commun est de se comprendre, non pas de gagner ou d'avoir raison, chacun a droit de "presser pause", parler en je (ressenti, besoin, demande).
Micro-dosing: aborder un sujet par petits morceaux. En effet, il vaut mieux un échange court et digeste plutôt qu’un long débat qui mène à la déconnexion.
Consentement vivant dans l’intimité: vérifier régulièrement que c’est encore bon pour chacun; accepter les ajustements et les retours en arrière.
Débrief: après un moment difficile (ou intime), prendre l'habitude d'exprimer ses ressentis - ex: chacun nomme une chose utile retenue et un prochain pas réaliste.
6) Quand demander de l’aide


Si vous ne parvenez pas à ralentir et à revenir à une qualité de présence dans un délai raisonnable.
Accompagnement recommandé si les déclenchements sont très fréquents et prennent le dessus, mais également en cas de douleurs persistantes, de sommeil très perturbé, d’engourdissement durable, ou quand les mêmes thèmes ressurgissent en boucle sans progrès.
Urgences: violence, menaces, idées suicidaires, douleur aiguë, saignements anormaux → 112/3114 (France) et consultation médicale prioritaire.
L’accompagnement somatique peut se combiner à un suivi médical/psychologique; des échanges inter-pros sont possibles avec consentement écrit.
7) Patience & bienveillance

Donnez-vous quelques semaines pour apprendre ensemble (psycho-éducation) puis observer si la mise en place d'un cadre et de repères mène à moins de débordements et plus de choix.
Installez quelques habitudes au compte-goutte: annoncer qu’on va parler d’un sujet, se laisser le droit à la pause, revenir au corps quelques instants si nécessaire, conclure par une décision simple (même provisoire).
Envisagez une aide extérieure si, malgré ces repères, la relation reste en tension la plupart du temps.
Mini-FAQ
Q: Peut-on “guérir” un trauma complexe en couple ?
On peut élargir la fenêtre de tolérance, retrouver de la sécurité partagée et davantage de choix. Un travail individuel est souvent nécessaire avant ou en parallèle.
Q: Comment distinguer les réactions aux déclencheurs (triggers) des vrais problèmes de couple?
Observez l’état du corps. Si une courte pause et un retour à soi améliorent la situation, c’était un trigger / déclencheur. Si la difficulté persiste, c’est un enjeu relationnel à travailler.
Q: Combien de temps pour sentir une différence?
Cela varie selon l'histoire personnelle de chacun et la dynamique de chaque couple. Avec des repères simples et réguliers, des évolutions sont souvent perceptibles en quelques semaines. Si le trauma est très lourd, on parlera plutôt de mois.
Pour aller plus loin
Références:
ICD-11 – C-PTSD : présentation et précisions (Cloitre et al., British Journal of Psychiatry). Cambridge University Press & Assessment
APA / DSM-5-TR : le DSM ne distingue pas C-PTSD comme diagnostic séparé (aperçu grand public/monitor). apa.org
Fenêtre de tolérance : concept clinique introduit par Daniel J. Siegel (ressource synthétique). Psychology Tools
Co-régulation & théorie polyvagale : Porges, revues récentes et articles en libre accès. PMC+1
Trauma & douleurs sexuelles (association, non causalité) : revue systématique/méta-analyse (2021) ; synthèse clinique AAFP (2021).
Polyvagal Institute — présentation de la théorie polyvagale (Porges). Polyvagal Institute
Deb Dana, Rhythm of Regulation — définition et usage clinique des glimmers. Rhythm of Regulation
IFS Institute — repères du modèle IFS (Self et parts).




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